Les ultimes échanges verbaux de Saddam Hussein avec des anonymes quelques secondes avant son exécution préfigurent-elles d’une nouvelle flambée de violence entre sunnites et chiites en Irak ?
La vidéo complète de la pendaison, provenant d’un téléphone portable et disponible sur internet, révèle que l’ancien président irakien a eu une brève altercation verbale avec des présents qui scandaient la profession de foi chiite et les noms de Moqtada Sadr et de Mohamed Baqr. Le premier est le jeune radical chef de la milice Djeich El Mehdi, dont le père, Mohamed Sadeq Baqr, a été assassiné du temps du règne de Saddam. Saddam, la corde autour du cou, apostrophe ses interlocuteurs : « C’est ça votre courage ?! » Une voix demande de cesser ces échanges : « S’il vous plaît, l’homme est face à une exécution. S’il vous plaît ». Selon un témoin cité par le quotidien londonien Al Hayat, seuls des hommes religieux chiites ont assisté à la mise à mort. Les religieux sunnites auraient refusé l’invitation des autorités irakiennes. Or, plusieurs sources appuient que l’ancien président irakien aurait, quelques minutes avant sa mort, averti les Irakiens contre leurs ennemis américains et ceux de « Perse ». On se rappelle l’effroyable guerre Iran-Irak, durant les années 1980 et le traitement réservé aux chiites irakiens, dont le clergé a été forcé à s’exiler en Iran. L’altercation entre Saddam et des proches de Moqtada — dont Washington reproche les représailles contre des Irakiens sunnites ou des chiites modérés — intervient en plein conflit sunnite-chiite autour du partage du pouvoir. Même l’exécution de Saddam et ses circonstances semblent avoir été, selon des sources irakiennes à l’étranger, une sorte de « cadeau » offert aux chiites, pour mieux les amadouer, au moins une fraction d’entre-eux. Saddam a été pendu dans l’ancien siège de la 5e branche des services secrets situé dans le grand quartier chiite de Baghdad, Al Kadhimiya. C’est là où un nombre indéfini de chiites — et d’autres opposants à Saddam — ont été exécutés. Autre élément troublant, concerne le timing : Saddam Hussein faisait exécuter ses opposants, notamment chiites durant les fêtes religieuses. Le dernier face-à-face de Saddam, relié par vidéo, aura certainement un effet de traînée de poudre dans un pays déjà miné par la guerre confessionnelle. Le premier attentat suivant son exécution a fait une trentaine de morts à Koufa, ville chiite, là où 14 siècles plus tôt, Ali le cousin du Prophète a été assassiné… à l’aube. C’est donc le cycle infernal qui reprend. C’est exactement ce que redoutent plusieurs observateurs. Déjà, l’avertissement est venu de l’extérieur de l’Irak. Du Liban, le chef spirituel du Hezbollah chiite, Sayyed Mohammad Hussein Fadlallah, autorité religieuse influente, a mis en garde, hier dimanche, contre une discorde entre les musulmans chiites et sunnites, accusant les Américains de vouloir provoquer la division à l’occasion de l’exécution de l’ancien président irakien. « Certains disent que Saddam était sunnite, mais en vérité c’était un dictateur qui a persécuté son peuple et ses adversaires sans tenir compte de leur rite (sunnite ou chiite) », a déclaré Fadlallah dans un prêche à l’occasion de la fête de l’Aïd. « Au lieu de faire face à la violence en Irak, les Américains préfèrent laisser les Irakiens s’entretuer et du coup, ils gagnent la bataille de déstabilisation de l’ennemi iranien », indique un observateur. Car le bourbier irakien se double d’un risque d’implosion communautaire. « L’arc chiite ? » A cela s’ajoute les dénivellements entre factions chiites elles-mêmes : entre, notamment, la branche radicale de Moqtada et le courant « spirituel » de Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite en Irak. Les Etats-Unis jouent sur la peur des Arabes du Golfe relative au fameux « croissant chiite ». Le roi Abdallah II de Jordanie a été le premier à parler d’un « croissant chiite » en décembre 2004, quand il avait accusé l’Iran chiite de chercher à influencer les élections en Irak et d’étendre son influence jusqu’au Liban. Le 29 décembre 2006, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a dénoncé les « mercenaires » des Américains qui évoquent la menace d’un « croissant chiite », dans une attaque voilée contre des monarchies du Golfe. Il semble ainsi que les Américains soient tentés de réactiver la vieille hostilité entre « Arabes et Perses », comme ce fut le cas pendant la guerre Iran-Irak. L’exécution de Saddam, la tension en Irak et au Liban — où la crise politique est présentée comme un conflit confessionnel entre sunnites et chiites — et la poussée des « salafistes » à travers le monde arabe nourrissent ce scénario. Alors que des analystes insistent sur le fait que « plus que d’un arc chiite, il s’agit plutôt d’un arc de crise sur lequel vient se greffer le chiisme », comme l’indique un spécialiste de la question. |
Do the last verbal exchanges between Saddam Hussein and anonymous men a few seconds before his execution prefigure a new conflagration of violence between Sunnis and Shi’is in Iraq?
The complete video of the hanging, shot by a cell phone and available on the Internet, reveals that the former Iraqi president had a short verbal altercation with those present who professed Shia faith and chanted the names of Moqtada Sadr and Mohamed Baqr. The former is the young radical leader of the Mahdi militia, whose father, Mohamed Sadeq Baqr, was assassinated during the reign of Saddam. Saddam, the rope around his neck, shouts at his interlocutors: “Is that your courage?!” A voice tells them to cease the exchanges: “Please, the man is facing an execution. Please.” According to a witness quoted by the London daily Al Hayat, only the Shi’i religious attended the execution. The Sunni clerics reportedly refused the invitation of the Iraqi authorities. Now, several sources testify that the former Iraqi president, a few minutes before his death, warned the Iraqis against their American and “Persian” enemies. One remembers the appalling Iran-Iraq war during the 1980s and the treatment reserved for the Shi’i Iraqis, whose clergy were forced into exile in Iran. The clash between Saddam and the family members of Moqtada — whom Washington blames for reprisals against Sunni Iraqis or moderate Shi’is — weighs on the open Sunni-Shi’i conflict over the division of power. Even the execution of Saddam and its circumstances seem to have been, according to Iraqi sources abroad, a kind of “gift” offered to the Shi’is, to better win them over, at least a fraction of them. Saddam was hanged in the old headquarters of the fifth branch of the secret service located in the large Shi’i district of Baghdad, Al Kadhimiya. That is where an indefinite number of Shi’is — and other opponents of Saddam — were executed. Another disturbing element is related to the timing: Saddam Hussein had his opponents, in particular Shi’is, executed during religious festivals. The last face-to-face encounter with Saddam, relayed by video, will certainly have an effect of a powder trail in a country already mined in the sectarian war. The first attack following his execution killed about thirty in Koufa, a Shi’i city, where fourteen centuries before, Ali, the Prophet’s cousin, was murdered . . . at dawn. Thus the infernal cycle begins again. That is exactly what several observers fear. Already, the warning came from outside Iraq. From Lebanon, the spiritual leader of the Shi’i Hezbollah, Sayyed Mohammad Hussein Fadlallah, an influential religious authority, warned, on Sunday, against a discord between Shi’i and Sunni Muslims, accusing the Americans of wishing to provoke division with the opportunity of the execution of the former Iraqi president. “Some say that Saddam was Sunni, but in truth he was a dictator who persecuted his people and his adversaries without regard for their faith (Sunni or Shi’i),” declared Fadlallah in a sermon on the occasion of the festival of Eid. “Instead of confronting violence in Iraq, the Americans prefer to let Iraqis kill each other, so they can win the battle to destabilize their Iranian enemy,” points out an observer. Because the Iraqi quagmire is coupled with risk of communal implosion. “The Shia Arc?” To that risk is added the differences among Shi’i factions themselves: between, in particular, the radical branch of Moqtada and the “spiritual” current of Sistani, the highest Shi’i religious authority in Iraq. The United States exploits the fear of the Gulf Arabs about the so-called “Shiite Crescent.” King Abdallah II of Jordan was the first to speak about a “Shiite Crescent” in December 2004, when he accused the Shi’i Iran of seeking to influence the elections in Iraq and to extend its influence to Lebanon. On 29 December 2006, the supreme leader of Iran, Ayatollah Ali Khamenei, denounced the “mercenaries” of the Americans who evoke the threat of a “Shiite Crescent,” in a veiled attack against the Gulf monarchies. It seems as if the Americans are tempted to reactivate the old hostility between “Arabs and Persians,” as was the case during the Iran-Iraq war. The execution of Saddam, the tension in Iraq and Lebanon — where the political crisis is made out to be a sectarian conflict between Sunnis and Shi’is — and the push of the “Salafists” throughout the Arab world nourish this scenario. However, analysts emphasize the fact that “more than a Shi’i arc, it is rather an arc of crisis on which Shi’ism comes to be grafted,” as a scholar on the question says. |
The article in French was first published in El Watan on 1 January 2007. Translation by Yoshie Furuhashi (@yoshiefuruhashi | yoshie.furuhashi [at] gmail.com).